Le cœur de la mort culturelle
- Ariane Plaisance
- 15 avr.
- 2 min de lecture
Depuis le milieu du XXe siècle, les sociétés occidentales ont connu une transformation radicale de leur rapport à la mort. L’historien français Philippe Ariès a décrit cette transformation comme une véritable révolution morale. En identifiant quatre grands régimes culturels, la mort apprivoisée, la mort de soi, la mort de l’autre et la mort interdite, Ariès a mis en lumière la manière dont les sociétés occidentales ont progressivement déplacé la mort du domaine public et ritualisé vers une réalité médicale, cachée et individualisée. Dans ce contexte, la légalisation récente de la mort médicalement assistée dans plusieurs pays occidentaux, comme les Pays-Bas, la Belgique et le Canada peut être comprise non pas comme une rupture absolue, mais comme une continuité de la « mort interdite ».

Au cœur de ce dernier régime culturel, la mort devient silencieuse, aseptisée, reléguée à l’hôpital, et vécue comme une anomalie dans un monde qui valorise la performance, la jeunesse et l’apparence du bonheur. La personne malade, vulnérable, mourante, autrefois entourée des siens, est désormais souvent seule, dépossédée de sa fin, prise dans un enchaînement de protocoles médicaux. Face à cette dépossession, la mort médicalement assistée réintroduit une forme de maîtrise individuelle sur le moment et les conditions de sa mort. En ce sens, elle incarne une tentative de réappropriation du mourir.
Cette transformation peut être relue à travers le prisme d’Ariès. Elle témoigne de la poursuite d’un processus de privatisation de la mort, où la société cherche à éviter la vulnérabilité, à effacer les traces visibles de la finitude humaine. Le recours à une mort médicalisée peut apparaître comme une manière de « bien mourir » dans une société qui ne sait plus comment accompagner la mort autrement. Paradoxalement, en voulant rendre la mort plus digne, on risque parfois de la rendre encore plus invisible, privée de toute portée symbolique et collective.
Ainsi, la légalisation de la mort médicalement assistée marque à la fois une réaction contre l’anonymat hospitalier de la mort moderne et une accentuation du mouvement d’individualisation de la fin de vie. Elle reflète les tensions profondes entre la volonté de contrôle, le refus de la souffrance et le besoin de réinventer des formes de ritualité et de sens autour de la mort.
En cela, il s’agit d’un révélateur puissant de notre époque : une époque où la mort, bien que médicalement assistée, cherche encore sa place dans une culture qui a du mal à la penser collectivement.






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